J’avais 7 ans quand mes yeux se sont posés pour la première fois sur l’écran du Commodore 64 d’un de mes camarades de classe pour y découvrir les menus en anglais du premier Wasteland. Nous étions en 1988 et loin de nous douter que ce jeu révolutionnaire ne verrait son troisième volet sortir que 32 ans plus tard. Entre temps, Wasteland par le biais de son créateur Brian Fargo, aura servi de base à la saga des Fallout et n’aura connu de réelle évolution technique que lors de la sortie de son deuxième chapitre en 2014. C’est là tout ce qui fait la joie et la frustration que l’on peut ressentir face à une franchise qui a aujourd’hui su garder tout le mordant de son écriture pointue, son humour noir désinvolte et une profonde tendresse pour ses personnages, tout en étant incapable de prendre le moindre risque pour moderniser une formule de gameplay archaïque. Si Wasteland 3 est toujours un délice sur le fond, c’est souvent une torture sur la forme, et l’instabilité du jeu est le seul véritable ennemi qui pourrait décourager d’y jouer.
Jeu : Wasteland 3 Genre : RPG, Post-apocalyptique Studio : inXile entertainment Editeur : Deep Silver Date de sortie : 28 août 2020 Plateformes : Xbox One, Xbox Game Pass, PlayStation® 4, Windows, Mac et Linux Age : 18+ Prix conseillé : 59.99€
Wasteland 3 : Technicolorado
Sommaire
Après les étendues arides et radioactive de l’Arizona, c’est dans les montagnes enneigées du Colorado qu’on retrouve notre nouveau groupe de Rangers du désert : la Team November. Après un début d’accord avec un certain Saul Buchanan, le seul chef de guerre de l’état ayant réussi à maintenir un semblant d’ordre, les Rangers se rendent à Colorado Springs pour rencontrer ce “Patriarche”, où il a établi une zone franche grâce à la fortune du clan bourgeois local, les “cent familles”. Il a promis qu’en échange de leur aide, il enverrait les ressources dont l’Arizona a cruellement besoin pour survivre. Mais à peine ont-ils posé un pneu à proximité de la ville qu’une embuscade éclate et enterre la majeure partie de leur troupe. Une fois face au patriarche, celui-ci leur parle de la mission qu’il espérait leur confier : neutraliser ses enfants, plus précisément ses deux fils et sa fille, qui fomentent un coup d’État en vue de le renverser à l’aide de factions auxquelles ils se sont alliés. Après s’être vu confié un QG, les Rangers vont donc partir explorer ce nouveau territoire et rencontrer les nombreuses forces en présence, constituées de beaucoup de nouveaux gangs hauts en couleur et de quelques visages déjà présents dans les autres volets.
Le Syndrome Borderland
C’est donc dans un mélange doux-amer d’émotions que l’on traverse l’histoire dense et fascinante de ce Wasteland 3. D’un côté, les qualités scénaristiques du titre, son humour décomplexé, ses personnages si bien incarnés et son univers propice à toutes sortes de commentaires sociaux et politiques sont un délice à parcourir. On se surprend à pouffer de rire au milieu de situations relativement glauques, à se poser des questions existentielles dont la profondeur est assez rare dans le paysage vidéoludique actuel face aux dilemmes imposés par le jeu. On vibre à l’écoute des nombreux protagonistes qui jalonnent notre chemin.
D’un autre côté, on peste très régulièrement contre les freezes et imperfections du système de combat. On abandonne le jeu quelques jours après le vingtième hard crash, le moteur graphique semble ne pas pouvoir supporter la moindre surcharge d’éléments à l’écran (aussi bien sur PC que sur PS4 Pro). On fulmine en tentant d’organiser un inventaire très vite pléthorique par le biais de menus plus que datés, carrément indignes de notre époque, et surtout presque identiques en tout point à ceux de Wasteland 2. Ces inventaires, surtout chez les vendeurs du jeu, peuvent vous enfermer dans l’interface et vous obliger à recharger une sauvegarde pour vous en échapper. Et surtout, on fatigue très vite devant les temps de chargement incessants et interminables qui sépare toutes les très petites zones du jeu et chaque rencontre aléatoire dans la nature, avec en plus cette boule au ventre causée par le fait qu’on sait pertinemment que ces chargements ont une chance sur trois d’aboutir à un énième crash.
Et c’est là que réside tout le problème. Wasteland 3 a beau présenter un nouveau scénario, rien ne semble avoir été fait pour moderniser, ne serait-ce que légèrement, le laborieux processus technique à la base du jeu. Au contraire, les quelques modifications apportées au gameplay paraissent en fait en alourdir le fonctionnement. Le système de combat a été légèrement simplifié, mais il est tellement criblé d’erreurs qu’on n’aurait presque préféré qu’ils n’y touchent pas. Entre les fausses informations données par les zones de déplacement (la zone bleue est censée indiquer la limite où on peut aller avec encore une action possible après le mouvement, mais l’indication est souvent mensongère), les personnages qui continuent à marcher sur place après avoir bougé, ceux qui se blessent en utilisant les items de soin et ceux qui refusent d’entrer dans le combat en même temps que leurs collègues, les affrontements sont souvent des foutoirs où il est difficile de s’amuser.
Squad neuf ?
Comme dans son prédécesseur, Wasteland 3 vous propose d’incarner un petit groupe de Rangers accompagné de personnages recrutés en chemin. Une sélection de couples de persos déjà déterminés, dessinés, avec un vécu, vous est soumise au début du jeu mais vous pouvez choisir de créer vous-même vos protagonistes. Ensuite, un groupe fixe de quatre Rangers vous est imposé, et deux compagnons sont ajoutés par vos soins. On peut compter aussi dans le groupe le Kodiak, le véhicule des Rangers, équipé d’une intelligence artificielle (que vous pourrez aussi modifié au long de l’aventure) et qui vous prêtera main forte dans certains combats. Sur ce point, Wasteland 3 fait un beau boulot d’interaction, comme dans les jeux précédents, chaque compagnon a sa propre morale et pourra commenter vos décisions, voire se barrer du groupe s’il considère que vos actes sont inacceptables. La fin du jeu réserve d’ailleurs une sorte de tour d’horizon de vos relations avec vos compagnons qui sera déterminante pour la dernière ligne droite de votre trajectoire. Vos choix seront donc pratiquement toujours suivis de conséquences, parfois très lointaines des décisions prises, ce qui empêche, et c’est une bonne chose, tout calcul à court terme, et vous force à vivre avec les répercussions de vos actes.
Divided States of Colorado
La mission principale vous est confiée d’entrée de jeu, mais vous devrez au préalable arpenter les différents points d’intérêts proposés par les vingt premières heures de jeu avant d’avoir le niveau suffisant pour vous confronter aux enfants du patriarche. Au cours de votre exploration du Colorado, vous croiserez les Payasos, un gang de clowns hispaniques qui trouve très amusant d’attacher de la dynamite à des cochons pour vous les envoyer en pleine face, les pêcheurs célestes, un clan religieux qui nourrit les dieux du ciel en accrochant les troncs mutilés de leurs ennemis à des cerfs-volants, les Gippers, qui vénèrent une IA de Ronald Reagan en ayant basé leur société sur l’ancien président républicain et sa femme Nancy (Trump en prend indirectement plein la tronche). Mais aussi une ville, autour d’un ancien aéroport, entièrement gérée par des robots, des esclavagistes, des réfugiés, des mafieux (guidés par Faran Brygo, personnage récurrent de la saga, double maléfique du créateur du jeu Brian Fargo), des concierges relous, des chanteurs de country, et d’autres dizaines de personnages tous très marquants et intelligemment écrits. Les lieux visités sont tout aussi dignes d’intérêts et racontent au détour de leur architecture complexe bien des choses sur ce Colorado que vous vous appropriez peu à peu et les luttes intestines qui le rongent.
Une Pépite Bien Enterrée
Wasteland 3 est un bijou d’écriture à l’univers riche et débordant d’imagination. Entre deux réparations de toasters (beaucoup moins utiles qu’auparavant) et trois apprivoisements de poulets cyborgs (plus utiles en revanche) vous serez amenés à découvrir un monde plein de rebondissements et regorgeant de vie. Les multiples manières de gérer les situations, de la simple porte à ouvrir au coup d’État à influencer, font du jeu d’inXile un terrain de jeu à la rejouabilité énorme, dont l’intelligence le place dans le haut du panier du genre. Mais Il est impossible d‘ignorer les défauts de stabilité omniprésents qui ruinent l’expérience à de nombreuses reprises. Sur mes 45 heures de jeu, j’ai expérimenté plus de 30 crashes (sur PS4Pro). J’ai donc dû refaire pas moins de 4 ou 5 heures de jeu supplémentaires pour simplement revenir où j’en étais. Et la longueur des temps de chargement m’a régulièrement découragé. Je ne regrette pas d’avoir joué à Wasteland 3 tant le jeu m’a procuré de plaisir et de rires (c’est peut-être bien le jeu le plus drôle de l’année), mais là où j’aurais directement sauté sur le menu principal après l’avoir fini pour relancer une partie, je préfère retourner sur un jeu qui me donne l’impression d’avoir été développé à notre époque plutôt que de subir à nouveau toutes ces frustrations techniques. C’est d’autant plus dommage qu’on faisait déjà le même constat sur Wasteland 2.