Pour les fans d’horreur vidéoludique, Resident Evil et Silent Hill sont des classiques dont les partitions resteront incrustées pour toujours dans leur mémoire rétinienne et musculaire. Les développeurs de Bloober Team positionnent leur jeu d’horreur The Medium comme un interprète qui s’emparerait de ces partitions pour construire sa propre grammaire horrifique tout en laissant résonner à chaque seconde l’écho de ses illustres modèles.
THE MEDIUM – là où tout commence
Sommaire
THE MEDIUM – le pouvoir du split
L’esthétique crépusculaire et morbide du monde des esprits est une véritable réussite. Basée sur les tableaux du génial peintre polonais Zdzisław Beksiński, l’atmosphère suffocante et gluante de ces coulisses du monde physique est à l’origine des meilleures séquences de gameplay du jeu. Quand Marianne doit ouvrir des passages en découpant de longs pans de peau humaine au rasoir coupe-choux, quand elle utilise l’énergie lumineuse que l’on récupère à certains points pour activer des postes électriques ou se protéger des nuées de mites qui l’assaillent dans les couloirs, quand elle progresse sur la pointe des pieds pour éviter d’être repérée par l’entité la plus inquiétante du jeu, The Medium enchaîne les séquences de tension extrême. On est d’autant plus en apnée qu’on est complètement démuni vis-à-vis des menaces à l’œuvre dans le complexe de Niwa. On comprend vite qu’il n’est pas question de se battre contre les apparitions qui nous veulent du mal, il faut se contenter de fuir, et avec un peu de chance, en survivant assez longtemps, la possibilité de les piéger se présentera peut-être…
Infiltration et énigmes
Au-delà de son esthétique et de son gameplay, plus proche du jeu d’infiltration que du jeu d’action, The Medium est donc aussi ponctué de nombreux puzzles environnementaux jouant sur le calque entre les deux mondes. De difficulté croissante au fur et à mesure que l’on évolue dans le jeu, et mis en perspective avec une compréhension de nos capacités médiumniques qui doit être de plus en plus complète, ces énigmes ont le bon goût de prendre des formes assez variées, et surtout de proposer des récompenses immédiates, qu’il s’agisse d’éléments narratifs satisfaisants permettant de mieux comprendre l’histoire ou les personnages, ou d’événements donnant enfin accès à des zones auparavant impossibles d’accès. On a toujours plaisir à constater le résultat de nos petites victoires. On notera aussi la très intelligente répartition entre scènes cinématiques dialoguées, énigmes, séquences de fuite ou de discrétion et plages plus détendues. En gérant aussi finement son rythme, The Medium maintient intact l’intérêt du joueur, en évitant de l’écraser sous des enfilades trop longues de scènes glauques ou au milieu de trop d’activités similaires. La qualité d’un jeu d’horreur réside souvent dans ce dosage entre les séquences angoissantes et des sas de décompression qui organisent plus sereinement l’arrivée des horreurs à venir. Mais là aussi, contrairement à ce que le genre a établi comme standard, le gore n’est pas au centre de la peur, dans le jeu de Bloober. L’effroi, même s’il est évidemment véhiculé principalement par le biais visuel, vient aussi beaucoup des révélations faites par l’enquête de Marianne, et plus on comprend les origines de la catastrophe qui a eu lieu dans le centre, plus on se tend à l’idée d’en apprendre davantage. Et d’un point de vue purement mécanique, The Medium n’est pas du genre à user de techniques faciles pour faire naître ses effets. Les développeurs préfèreront patiemment construire des situations où, une fois les joueurs bien mûrs, ils leur assèneront un bon coup de pression final plutôt que de se reposer sur des enchaînements de jump-scares creux (même s’il y en a aussi). Et la mise en scène a les épaules largement assez solides pour nous garder en haleine jusqu’au bout. Entre les phases où il faut se cacher d’une créature qui nous traque, celles où il faut s’enfuir à toute jambe et les passages plus détendus, où Marianne va jusqu’à plaisanter, c’est à un beau grand huit émotionnel que nous invite The Medium.
L’hommage à l’horreur par un studio amoureux du genre
Comme nous le disions, les références de l’équipe de Bloober sont très vite évidentes, en reprenant les cadres fixes des premiers Resident Evil et de Silent Hill, et en situant son histoire dans les années 90, où ces jeux étaient les rois de l’horreur, Bloober est dans une démarche d’hommage qu’il serait difficile de ne pas voir. Même la musique de The Medium est composée par Akira Yamaoka, le musicien officiel Silent Hill (chargé ici de la musique liée au monde réel, tandis que le compositeur polonais Arkadiusz Reikowski s’occupe de celle du monde des esprits). La déférence profonde de Bloober Team à l’égard de cette tradition d’horreur psychologique (commencée en 1992 avec le Alone In The Dark des français Frédérick Raynal et Didier Chanfray), est à double tranchant. Leur respect pour ces poids lourds du genre peut d’un côté les empêcher de prendre leur propre direction personnelle sur The Medium; de l’autre, à trop vouloir s’en éloigner, ils risqueraient d’en perdre l’aura si particulière qu’ils voudraient partager avec leurs modèles. Il s’agissait donc de maintenir la bonne distance avec leurs références, pas trop loin ni trop près, et c’est dans l’ensemble un pari réussi. On retrouve avec plaisir ces atmosphères sonores très anxiogènes, ces cadrages forcés qui laissent la voie à tout un tas de hors-champs potentiellement sources de peur, mais on n’a jamais l’impression de jouer à un jeu que l’on connaît déjà.
L’histoire de The Medium est dense. Les auteurs s’attaquent à des sujets loins d’être évidents, comme la pédophilie, un thème plutôt rare dans le jeu vidéo. Il est d’autant plus surprenant de voir que la thématique est ici creusée pour mettre dos à dos les causes et les conséquences d’actes tellement effroyables qu’ils ont des répercussions des dizaines d’années après. Mais le jeu essaie aussi de raconter la façon dont les monstres naissent et en proposant de retourner, lors de certains chapitres, aux origines du mal, les auteurs Grzegorz Like, Andrzej Mądrzak et Marcin Wełnicki effectuent un travail d’analyse psychologique à la fois passionnant et très éprouvant à suivre. La question du pardon est au centre de The Medium, mais la rédemption est rarement possible. Faute de pardonner, il s’agit au moins de comprendre…
Adapation sur PS5 réussie ?
Sorti le 3 septembre sur PS5, The Medium fait une utilisation assez limitée des fonctionnalités de la DualSense. Les phases d’observation des objets bénéficient d’une vue liée à l’inclinaison de la manette, ce qui n’apporte pas grand chose. Et le retour haptique se contente d’ajouter des vibrations en lien avec les événements surnaturels du jeu, sans tenter d’accorder plus que ça les effets avec les capacités plus poussées du système de vibrations “identifiées” comme on les trouve dans le remake de Demon’s Souls ou d’Astro’s Playroom. Cela dit, la PS5 n’a aucun effort à faire pour faire tourner The Medium. Le rendu des deux mondes parallèles en simultané ne cause jamais aucun ralentissement, les textures et l’éclairage sont d’une finesse qui laisse passer tous les détails les plus flippants et même si la gestion des sticks (notamment dans les changements de cadre où les directions données au personnage semblent parfois verrouillées un court instant) mériterait un léger patch, la console de Sony supporte à merveille le jeu de Bloober et ne pâlit pas en comparaison avec des PC aux configs plus musclées.
Dire que The Medium est ce qui se rapproche le plus, parmi les jeux actuels, de Silent Hill n’est pas exagéré. Il serait formidable que Bloober Team se voient confier les droits de la licence, étant donné la splendide démonstration qu’ils nous font avec The Medium. Superbe preuve d’amour pour le genre, très jolie carte de visite pour courtiser Konami, les détenteurs de droits de Silent Hill et vraie expérience horrifique soignée et trépidante, The Medium est peut-être le meilleur horror survival de ces dernières années. L’annonce faite fin juin qui confirme que Konami a autorisé Bloober Team à utiliser certaines de ses IPs laisse évidemment penser que ce rêve de voir Silent Hill revenir entre les mains d’un studio compétent, va bientôt se réaliser.