Bad Viking est un petit studio de développement londonien mené par deux frères, Rob et John Donkin. En dix ans, ils ont sorti une liste assez impressionnante de jeux très divers (mais visiblement tous marrants), du jeu d’artillerie à la Worms (Bad Eggs) aux puzzle games (The curse of the Mushroom King, Popopop), à jouer en ligne ou en flash. Mais cette fois c’est du lourd : le 21 janvier 2022 sortait sur Steam Strange Horticulture, un jeu d’enquête occulte qui sent bon la pluie et la terre de rempotage. Il met tout le monde d’accord : c’est beau, c’est génial, on en veut encore.
Undermere, sa pluie, ses monstres
Sommaire
Bienvenue à Undermere, un village exigu et morose, éternellement battu par la pluie et le vent. Vous reprenez le magasin d’horticulture – Strange Horticulture – de votre oncle décédé et vous vous mettez immédiatement au travail : cultiver et vendre des plantes aux propriétés magiques et médicinales aux habitants du coin. Il faut dire que légendes et magie sont particulièrement vivaces ici : vos client⋅es se plaignent de visions cauchemardesques, de bruits étranges dans leur maison ou de la malédiction que leur a apporté un étrange pendentif trouvé dans leur grenier… Mais surtout, toute la région est en émoi depuis le meurtre sanglant d’un jeune berger, dans un coin de campagne où certain.es jurent avoir vu rôder une ombre gigantesque et terrifiante. Le décor est planté : à vous de faire votre bout de chemin dans cette ambiance ésotérique, à l’esthétique post-victorienne. Il faudra résoudre l’énigme… et choisir votre camp : allez-vous combattre le mal ou le vénérer ?
Battez la campagne !
Première chose : Strange Horticulture est beau, et il y a un chat qui ronronne quand on le caresse. Déjà, ça fait du point. Vous jouez sur deux écrans.
D’abord votre échoppe : un bureau à tiroir(s) où s’empilent indices, courrier et objets mystérieux, des étagères où vous allez prendre beaucoup de plaisir à trier les dizaines de plantes que vous allez acquérir au fil du jeu (soit dit en passant je suis de la team couleurs), et votre guichet où clients et clientes, ami⋅es et facteur se relaient pour faire tourner votre boutique. Attention, il n’est jamais question d’oseille, j’ignore si vous facturez vos prestations mais les mécaniques du jeu se concentrent sur l’identification des plantes, avec l’aide de votre livre d’herboriste (un grimoire signé Voinych), une loupe, un microscope et les quelques indications qu’on vous donne pour les reconnaitre. Mais comme vous ne commencez qu’avec quelques plantes, vous allez devoir en trouver d’autres et pour ça, explorer ce coin de pays qu’on imagine bien se placer dans la campagne anglaise du début du XXe siècle, quand il fallait prendre sa journée pour visiter la ville voisine – à pieds donc.
Le second écran, c’est votre carte du « monde », une élégante carte dessinée à la main avec ses forêts profondes, ses chemins caillouteux, ses pics lugubres et ses marais envahis par les moustiques. Les indications que vous donnent vos client⋅es, mais également les indices que vous tirez tous les matins sous forme de cartes de tarot, vous mènent aux quatre coins de ce paradis interlope, où combattent les forces du bien et du mal.
Une enquête entre ombre et lumière
Les mécaniques très efficaces de Strange Horticulture vous plongeront dans une enquête où se côtoient le meurtre et la folie. Petit à petit et avec l’aide de votre bibliothécaire préférée, vous allez comprendre ce qui ne tourne pas rond à Undermere et ses environs. Et choisir : qui de la secrète Sororité ou des Graines de la Rédemption, la secte locale, vous inspire le plus confiance ? Selon vous, qui est le mieux placé pour faire un sort à cette bête terrifiante qui terrorise la région, vos plantes ou les puissances occultes manipulées par la Cassandre du village ? Vous avez deux semaines pour vous décider ! Le jeu offre plusieurs embranchements décisifs qui vous mèneront à l’une de ses huit fins et de vos choix dépendront la survie du corps et/ou de l’esprit des personnages qui étaient de l’autre côté de votre guichet pendant votre partie…
En quelques mots, le jeu sait nous les rendre attachants ou détestables et même si au final la question elle est vite répondue, le jeu vous donnera envie de relancer quelques sauvegardes pour faire un sort à celui-ci, ou accorder, pour changer, votre confiance à celle-là. Vous pourrez même décider de ne faire confiance à personne et ne croire qu’en vous…
Derrière les meurtres, un satisfying game
Le jeu n’est pas seulement efficace et sa petite histoire bien menée : il est incroyablement satisfaisant. Chaque bruit, chaque son vous baignent dans l’ambiance, de la pluie sur la verrière au froissement du papier de l’enveloppe que l’on ouvre, de la carte que l’on déplie. Un piano triste et lancinant vous accompagne du début à la fin, il n’y a aucun doublage, le jeu se lit, mais les traductions sont excellentes et le style judicieux (c’est-à-dire un peu guindé et pince-sans-rire). La myriade de plantes que vous collectionnez (77 en tout) sont toutes gracieuses et étonnantes, on prend beaucoup de plaisir à les examiner, les ranger… et les mémoriser.
L’effort demandé est équilibré, entre la résolution de puzzles, de petites énigmes et l’identification pas toujours aisée de vos végétaux, dans la mesure où votre manuscrit de référence distille les indices avec parcimonie : forme et texture des feuilles, nombre et disposition des pétales, odeur et même goût, chaque détail compte pour discriminer deux candidates.
Bref.
Le jeu ne prendra même pas une demi-douzaine d’heure de votre temps pour une première partie, mais vous serez plongé⋅e jusqu’en haut des bottes dans son atmosphère de parchemin et d’herbes folles, sans compter que vous aurez très probablement envie de la relancer pour emprunter un autre chemin. J’ai vécu de véritables émotions lors du dénouement, l’intrigue est pleine, entièrement bouclée. Le lore ne se complait pas dans le cryptique marabouteux, pas de verbiage ésotérique ou de concepts fumeux, Strange Horticulture nous fait la politesse d’une simplicité poétique et on en ressort avec la sensation d’avoir encore sur les mains du sang, de la sève et l’esprit vagabond. Si vous vous lancez dans cette aventure, ce que je recommande tellement, vous trouverez mon playthrough sur Let’s Frag ! et sur DisplayWeb le guide complet et indispensable pour faire les bons choix et accéder à la fin qui vous chaut.