C’était en 1999, vous aviez une quinzaine d’années et les studios Sierra venaient de publier un jeu développé par Impression Games, inspiré du gameplay du city-builder Caesar, mais transposé à l’antique civilisation qui a donné son heure de gloire aux fertiles rives du Nil, l’Égypte pharaonique. Je veux bien sûr parler de Pharaoh.
Vous avez passé des heures sur le PC de vos parents, en espérant qu’ils ne rentrent pas trop tôt pour pouvoir vous consacrer plus longtemps à la gestion économique de votre bout de royaume. Vous avez lutté contre la peste, le courroux d’Osiris, les envahisseurs nubiens, l’analphabétisme et vous en avez plus appris sur l’Égypte antique que l’école ne vous en apprendra jamais. Vous avez érigé pierre par pierre des pyramides gigantesques qui demandaient des heures de construction, c’était long, c’était bien.
C’était le bon vieux temps.
Eh bien, vous savez quoi ? Le bon vieux temps, c’est maintenant, Pharaoh : A New Era est là.
Ânkh et triskell
Sommaire
C’est Triskell Interactive qui a accepté de relever le challenge de faire revivre le regretté et mythique Pharaoh, qui gisait là, tout penaud, au fin fond des sites d’abonware (bon, ok, il est dispo dans son jus, sans version FR sur Steam depuis 2016). À la base, le truc des créateurs de Pharaoh : A New Era, Sinsem et Noodle, c’était plutôt la vapeur et les costumes victoriens. En 2014, ils créent l’univers steampunk de Lethis, qu’ils ont fini par mettre en pause pour se consacrer à ce projet… pharaonique.
En février 2023, après 5 ans de travail, Pharaoh : A New Era est là, grâce à nos Bretons talentueux et à la magie rétro de Dotemu (Teenage Mutant Ninja Turtles: Shredder’s Revenge, c’est eux). Oubliez vos rides, votre mal de dos et la perte des illusions de votre jeunesse, vous allez pouvoir vous adonner à la nostalgie et à la pose stratégique de barrages routiers, comme si ces 20 dernières n’avaient pas existé : votre city-builder en vue isométrique qui mélange gros pixels et dessins à la main est de retour et n’a (presque) pas bougé.
Rendons à César ce qui appartient à César
Pharaoh : A New Era fait honneur à son inspiration ; le jeu de base est proprement respecté. Il est beau et vous retrouvez avec émotion bâtiments et ornements des routes pavées fraîchement sortis de leur formol, aussi fringants qu’au premier jour.
Votre mission est toujours la même : ériger une cité la plus stable et prospère possible, avec les ressources disponibles sur votre carte, en évitant à tout prix la seule chose qui pourrait mettre fin à votre partie : la dette. Les débuts de partie sont des plus délicats, le temps de lancer les différentes chaines de production et d’équilibrer vos imports / exports.
Tout comme avant, ce sont vos marcheurs qui déterminent l’aire d’influence de vos bâtiments et vous retrouverez avec nostalgie le plaisir de voir évoluer les huttes misérables de tout un quartier sur le chemin de votre porteur d’eau.
Le gameplay (système industriel et économique, gestion de l’espace) est largement inchangé, l’objectif des développeurs ayant prioritairement été d’adapter le jeu au machines actuelles ; ce n’est clairement pas une refonte de fond en comble.
Campagne ou bac à sable, tout est là, avec un didacticiel qui vous tient par la main pour entrer sans crainte sur les terres mythiques de Pharaon. Et comme avant, vous aurez accès à une foule d’informations historiques sur les périodes traversées.
Le respect du matériau d’origine était clairement l’objectif premier de ce revival. Si ce n’est pas cassé, alors ne le répare pas, hein ? Eh bien, je vais trigger les plus rigides d’entre vous, mais vous allez devoir faire avec : il y a tout de même du nouveau dans Pharaoh : A New Era. Faisons le tour.
Les musiques, tout d’abord, ont été réarrangées par Louis Godard, qui a écouté, transcrit, samplé et modernisé les accords électroniques légèrement égrillards qui ont participé à la gloire de notre jeu chéri. Et c’est une réussite : vos villes seront plus festives, grandioses et dramatiques que jamais.
Quelques améliorations se sont également glissées dans le gameplay, qui rapprochent le jeu de ce qui se fait aujourd’hui en matière de city-building…
Fini les recruteurs et les petits villages satellites autour de chaque zone industrielle qui foirait votre pathfinding si élaboré ; si vous le souhaitez, vous pouvez recourir à une gestion automatique de la main d’œuvre grâce à l’option ad hoc.
Sachez également que votre population va prendre de l’âge : si vous donnez un bon niveau de vie à vos citoyens (nourriture en abondance et diversifiée, éducation, salaires décents…) leur espérance de vie va s’allonger et votre population va fatalement vieillir. Ce qui aura pour conséquence une perte de main-d’œuvre conséquente : vous allez devoir nourrir et héberger des bouches qui ne travaillent pas, à savoir… les plus de 49 ans (ça déconne zéro sur l’âge de départ à la retraite ici !).
Bref, les péons ne sont plus des mobs sans âme, ils deviennent même sacrément pointilleux : le système d’immigration a pris une petite teinte progressiste et vous aurez beau aligner des terrains à bâtir avec toutes les commodités aux environs, si les salaires sont trop bas et le taux d’imposition scandaleux, personne ne viendra les habiter.
Voilà ce qu’il en est pour les améliorations notables du gameplay, celles qu’on a appréciées. D’autres sont moins heureuses et les larmes salées des aigris inondent malheureusement les évaluations du jeu sur sa page Steam…
Les 10 plaies d’Égypte
Il en a fallu des cris et des pleurs de joueureuses pour que les devs ajoutent la mini-map qui leur manquait tant ! Et c’est vrai que c’est bien pratique pour se déplacer sur votre terrain ou avoir un aperçu rapide de votre urbanisation.
À vrai dire, l’équipe de développement semble bûcher jour et nuit sur leur jeu depuis sa sortie, avec des vagues de mises à jour quasi hebdomadaires destinées à rééquilibrer ses différents rouages et peaufiner son aspect. Avalanche de pop-up concernant l’humeur des dieux, menus peu intuitifs, gestion de la dette et bien d’autres mécaniques du jeu sont améliorées au moment même où je vous parle.
Mais certains partis-pris pourraient quand même vous surprendre, notamment la gestion de l’armée. Que vous ne gérez pas. La fenêtre qui s’ouvre lorsque deux armées se rencontrent est un peu risible et totalement superfétatoire, vous ne maitrisez rien, il suffit de cliquer sur « continuer » pour prendre connaissance de l’issue de la bataille. C’est tout simplement la plus grosse qui l’emporte, circulez, il n’y a rien à voir. Au moins, vous n’avez plus à subir les assauts des ennemis dans votre joli centre-ville, les combattants ne foulent même pas votre carte et vos structures de défenses ne servent qu’à améliorer vos stats.
Ensuite, et là j’ai ragé un moment, il manque des infos. Le menu d’aide en jeu est censé… vous aider, mais, et c’est de l’hérésie pure, ses dizaines d’entrées ne sont pas rangées par ordre alphabétique, ni par domaines, bon courage pour trouver réponse à vos questions. Et vous vous en poserez fatalement, vu la quantité de paramètres, de bâtiments et de ressources que vous avez à gérer dans une partie !
Pourquoi, nom d’une pipe, ni mon contremaître, ni mon ministre des monuments, ni le menu d’aide ne m’indiquent POURQUOI je ne parviens pas à placer cette foutue pyramide à degrés ? C’est quand j’ai bien occupé tout l’espace sur les rives, avoir quitté, relancé, pris une ancienne sauvegarde, stocké un MILLIER de pierres et finalement écumé les forums du jeu que j’ai fini par trouver : il lui faut un accès direct au fleuve.
Ce qui manque, ici, c’est une petite fenêtre contextuelle qui apparaitrait quand j’essaie vainement de placer mon bâtiment, et qui m’expliquerait POURQUOI je ne peux pas le faire.
Le niveau de challenge manque encore de tonus dans le temps : comme je l’ai dit précédemment, les débuts offrent un véritable challenge, lancer votre économie nécessitant des actions bien dosées au bon moment, mais passé un certain seuil, vous n’avez plus grand-chose à faire, plus grand-chose à craindre, ça ronronne, ça tourne tout seul et vous attendez, un peu désœuvré·e que votre mastaba termine de se construire.
Pharaoh : A New Era est un jeu-fleuve, avec des boucles multiples, qui traitent des dizaines de paramètres, sur des parties qui peuvent durer des heures voire des jours et l’équilibrage de tous ses aspects demande un travail monstre. L’équipe est à l’écoute des joueurs et joueuses, elle surveille de près vos feedbacks pour améliorer sans cesse ce jeu qui, de toute évidence, n’est pas sorti tout à fait fini.
Pharaoh : A New Era, la possibilité du Nil
Faut savoir être souple dans la vie. Même en listant ici, pour vous, les aléas malheureux du jeu, je ne sécrète pas la moindre aigreur par aucun pore de mon anatomie. J’ai adoré ce remake et l’idée que chaque patch à venir le rendra encore meilleur me met en joie.
J’aimais pas tant que ça l’aspect militaire du jeu de toute façon, et si Osiris est content, alors moi aussi je suis contente. Ce que j’aime, c’est gérer mes imports/exports, faire tourner une flopée de filières industrielles et voir s’aligner les brouettes de pois chiches devant mes fermes quand le Nil reprend ses droits sur mes rives. D’ailleurs, les porteurs de brouettes ne se noient plus bêtement au moment de la crue, réjouissez-vous !
La montée en puissance de chaque ville au fil des missions de la campagne me procure toujours autant de plaisir et parvenir à faire ronronner ma cité pleine de bruits, d’activités, d’échanges et de passages, c’est de la dopamine directement dans mes petites veines.
Je recommande, évidemment. Les rageux vont rager, les gens heureux vont bicher, les nostalgiques ne verront pas le temps passer. Et si vous n’avez jamais touché au jeu d’origine, ce sera une belle entrée en matière. Pharaoh : A New Era est un jeu qui vous veut du bien, plutôt confortable et vivant, avec une DA rétro chaleureuse et une promesse de dizaines d’heures de jeu passées au four et au moulin, qui vous feront ressentir ce que ça fait, d’être un dieu.
Vous trouverez ci-dessous le lien vers mon playthrough des premières missions, sur Let’s Frag !