Né en 2012 comme bon nombre d’humains sur un coin de table, Harold Halibut est initialement une idée, née lors d’un repas où ont fusé les conversations, les postillons et l’expression d’un amour incommensurable pour le stop-motion et les jeux narratifs. Peu après, l’équipe de Slow Bros. se met à construire des petites maisons de poupées, des figurines avec l’envie d’en sortir une histoire interactive. En 2017, le titre est dévoilé au public sous la forme d’un Kickstarter le prévoyant pour 2019. Malgré l’échec du financement participatif et l’inévitable retard tant l’ambition du titre est grande, les Allemands de Slow Bros. n’en démordent pas. Douze ans plus tard, lors du Future Game Show Spring Showcase (le FGSSS si vous voulez la faire courte ou imiter un serpent) tombe enfin la date de sortie : le 16 avril 2024 nous découvrirons sur nos écrans la vie subaquatique d’Harold Halibut.
Harold Halibut ou “Doudou c’est bien mieux, tout l’monde est heureux, sous l’océan”
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Il y a 250 ans, le Fedora, un vaisseau de colonisation spatiale fuyant la Terre devenue inhabitable, s’est enfoncé sous l’océan d’une planète alien. Depuis, les Fedorans, s’étant habitués à cette vie sous-marine, recréent une société où fleurissent les commerces, les bars et une société en microcosme s’accommodant rudement bien de ces conditions particulières. La docteure Jeanne Mareaux continue cependant ses travaux, persuadée qu’il existe un moyen de relancer le vaisseau pour repartir malgré l’immersion. Vous incarnez son assistant laborantin, Harold Halibut, qui donne son nom au jeu. Rêveur, un peu empoté, plein de bonne volonté, Harold est un héros attachant qui ne cherche qu’à bien faire et à trouver sa place dans la vie. Chaque journée vous amènera son lot d’aventures, de dialogues et d’avancées dans l’intrigue. Libre à vous de parler à chaque habitant ou de rusher les tâches pour découvrir l’intrigue principale. Mais l’univers du jeu est si charmant que j’ai personnellement même pris le temps de me balader gratuitement sur le Fedora juste pour profiter de chaque petit détail.
“La vie sous la mer, c’est bien mieux que la vie qu’ils ont là-haut sur terre”
Harold Halibut est un jeu qui va vous demander de prendre votre temps, voire vous l’imposer. En effet, loin des jeux d’action aventure habituels où notre protagoniste court partout et passe les dialogues pour taper du méchant ; le titre ici vous cale à son rythme, celui d’un homme à tout faire un peu lent qui vit dans un autre espace-temps. Le rythme est lancinant et se marie à merveille avec l’esprit du jeu. Certes, vous avez un bouton courir pour les plus impatients d’entre vous, et vous pourrez même passer les dialogues dont les scènes s’accélèrent alors jusqu’à la ligne suivante ; mais ce serait passer à côté du charme du jeu. S’attarder sur les doublages (de très grande qualité) ; admirer les petits détails des fausses pubs, des faux programmes TV, voir les animations et les diverses textures de tout ce petit monde, tout ça ajoute au sel de la narration.
Alors certes, le gameplay est très simple. Il va essentiellement consister en des enchaînements de dialogue. Cependant, vous aurez parfois des petites séquences spécifiques : analyser un échantillon minéral avec Brigitte, vider la réserve et voir la caméra soudainement basculer à la verticale pour vous offrir un jeu de Tetris improvisé, vous poser à une borne d’arcade et découvrir des hommages à Lylat Wars et Pilotwings 3D. Loin d’être fan des jeux narratifs habituellement, car n’y trouvant ni l’intérêt ludique ni la profondeur narrative permettant d’en faire une expérience intéressante (ce n’est que mon avis, rangez ces fourches) ; je dois dire que Harold Halibut est, avec What Remains of Edith Finch, une de ces expériences dont je ressors conquis en me disant “Mais en fait, tu aimes les jeux narratifs, t’aimes juste pas Quantic Dream” (RANGEZ CES FOURCHES). Voir les dialogues continuer lorsqu’on parle aux PNJ plusieurs fois, voir l’évolution de ce monde suivant les actions de la journée précédente, suivre des conversations de fond ou parfois des histoires transmises uniquement par des actions muettes ; Fedora vit, et ça passe par cette variété de personnages tous plus loufoques et drôles les uns que les autres. Le couple chez Gertrude’s Bier et ses conversations ; le vendeur de chez Slippies plus proche d’un Bernard Tapie que d’un honnête commerçant ; le facteur ou encore ce prof très musclé au kimono très court qui parvient à garder un bronzage impeccable malgré une vie sous l’eau en permanence. Il faut cependant garder en tête que le jeu ne se joue pas par petites sessions de 20 minutes, mais plutôt par sessions d’une heure et demie en moyenne, puisque parfois, les journées sont chargées en événement et peuvent se prolonger jusque tard dans la nuit ; pensez donc plus votre temps de jeu comme un temps de lecture d’un livre dont les chapitres peuvent être longs. La densité du jeu et de chaque journée le constituant étant à prendre en compte si vous n’avez pas forcément beaucoup de temps de jeu hebdomadaire disponible.
“On fait Carnaval tous les jours, mieux tu pourras pas trouver”
Évidemment que la partie sur la direction artistique du jeu va être très courte : C’est magnifique, 20/20. En plus détaillé : on sent tout l’amour de chaque média, le stop-motion, le jeu vidéo, ça marche à merveille. Plus de dix ans de travail pour un visuel entièrement fait à la main, c’est à ma connaissance jamais vu, et tout transpire la méticulosité et la prouesse technique. Alors oui, le jeu pèse une cinquantaine de Gigaoctets, et il y a quelques petits bugs de chargement des textures sur la version que j’ai testé, mais honnêtement, très honnêtement, je leur pardonne tout. Parce que bosser dix ans sur un jeu vidéo entièrement en stop motion dans un univers aussi fou fait à la main avec un doublage intégral de qualité, une bande-son belle et qui reste en mémoire, une ambiance qui oscille entre le drôle, le doux, le poétique, le beau, l’absurde et le mélancolique ; allez-y l’équipe, la petite texture qui pop, je l’ai pardonnée à Breath of the Wild, je vous la pardonne à vous, évidemment. C’est beau, c’est tout. Ça rappelle plein de choses à la fois et c’est aussi son propre truc. Wes Anderson, Rapture (si Andrew Ryan n’avait pas vrillé), Le sens de la vie pour 9,99$, Anomalisa; Harold Halibut résonne en plein de choses et trouve son inspiration dans tant d’œuvres, mais sans jamais tomber dans la repompe ou l’hommage mou. Au contraire, il sait en extirper l’essence et en faire quelque chose de nouveau. À l’heure où les joueurs et joueuses se plaignent des remakes permanents ou des univers sans originalité, ils devraient être servis tant on détient là une petite pépite rare qui mérite d’être aimée.
En conclusion
Harold Halibut est sans conteste un des plus beaux jeux auxquels j’ai joué (et j’ai commencé avec Tetris sur Gameboy grise à 4 piles, j’en ai vu des titres) ; un des univers vidéoludiques les plus enchanteurs et probablement dans mon top 3 des jeux qui respire l’amour du travail bien fait. Chaque personnage a son histoire, chaque détail a son importance, chaque petit asset visuel est crafté avec minutie. On a sur nos écrans une petite pépite de finition, qui pour couronner le tout enrobe une histoire d’amitié, de relation, de réflexions sur le foyer et les liens qui nous unissent. C’est vraiment pas tous les jours qu’on a la chance de jouer à une expérience pareille alors je ne peux que vous enjoindre de plonger la tête la première et de partir découvrir la vie sur Fedora